Ce site dédié à l'oeuvre de Charles JULIET est un espace de documentation subjective et de rencontre entre ses Lecteurs et l'Association "La Cause des Causeuses", avec son accord, les principaux événements concernant son actualité éditoriale et ses rencontres publiques y ont été évoqués. Suite à son décès le 28 Juillet 2024, ce site est désormais consacré à la mise en valeur de son oeuvre.

ANTHOLOGIE SUBJECTIVE oeuvre de CHARLES JULIET | 14.08.2024 | JOURNAL II , 1965 - 1968 | 1979

 

C. JULIET  JOURNAL 2 HACHETTE


 

Dans ce second volume, la ténèbre s'éclaircit et on le voit à fouler la terre lointaine qu'il portait en lui. Celle où il pourra durablement enfouir et déployer ses racines.

 

14 février          

                Ces êtres qui parlent fort, ils attentent au silence, à l’être, ils vous écorchent. Mon besoin de ne parler qu’avec douceur, en intégrant ma voix au silence.

                Il faut viser à ce que la phrase soit le moins possible dépendante du contexte, qu’elle jouisse d’une sorte d’autonomie, recèle en elle-même tous les éléments nécessaires à sa compréhension.

                Evidemment, ce n’est qu’un fait sans importance, totalement dénué d’intérêt, et je ne devrais pas en parler ici. Mais il m’est souvent revenu à l’esprit, je l’ai souvent réinterrogé, car il touche à un domaine autour duquel j’ai bien des fois tourné. C’était au cours d’un match de rugby. Au terme d’une phase de jeu les plus âpres, la balle m’arriva alors que je me trouvais derrière les deux paquets d’avants. Et au lieu d’ouvrir sur les trois-quarts, ainsi que j’aurais dû, j’eus l’intuition qu’il me fallait foncer à travers cet amas de joueurs pourtant assez compact. Et comme j’obéissais à cette intuition aussitôt me vint l’absolue certitude qu’en dépit de toute logique, ma tentative ne pourrait que réussir. Et de fait, je parvins bel et bien à traverser ce mur. Mais le plus curieux ; c’est que mes coéquipiers ne me gênèrent aucunement, et plus étonnant encore, que mes adversaires restèrent figés, qu’il n’y en eut pas un seul pour simplement essayer d’entraver ma progression. Tout se passa donc comme si la certitude dont j’étais possédé avait eu pour effet de les frapper d’inertie.

                Ce n’est pas le fait en lui-même qui m’importe, mais l’état extrêmement étrange dans lequel je me trouvais. Car dès que j’ai amorcé ce mouvement, j’ai parfaitement eu conscience que j’était porté par une énergie exceptionnelle, que je tentais et réussissais quelque chose qui défiait toute vraisemblance. C’est si vrai que même encore maintenant, j’ai la mémoire la plus exacte de tout ce qui a constitué cet instant. Que je revois avec netteté la position de chacun des joueurs, ainsi que l’endroit du terrain où s’est déroulée cette phase de jeu.

                Donc comment rendre compte de ce fait ?  (Car il va de soi que je n’ai pas mis à profit un de ces moments qui survient parfois au cours d’un match, et où les joueurs s’arrêtent spontanément de jouer dans l’attente que l’arbitre siffle la faute qui vient d’être commise.) Peut-on penser que la prescience qu’on a d’un événement est susceptible de le déterminer ? Que la certitude qui soudain vous meut a parfois pouvoir de conditionner êtres et événements ? Je ne sais.

[…]

15 février

Certains êtres ont une conduite admirable, une apparence qui séduit, ils accomplissent de grandes ou de belles actions, réalisent des choses remarquables, ou simplement, paraissent être des gens de qualité. Mais lorsqu’on pénètre leurs mobiles, qu’on se glisse derrière la façade, on est déçu.

Cependant la crainte d’essuyer une déception ne doit pas te détourner de ta volonté de connaître.

Besoin de ne pas être dupe, d’approcher un être dans sa plus intime vérité. De saisir les raisons de sa conduite, son comportement.

[…]

                Je ne sais pas parler, suis empêtré, ai le plus grand mal à rejoindre ces mots qui se tiennent si loin de moi et se refusent. Je m’en affecte, et pourtant, je devrais l’en réjouir, car cette difficulté à formuler ce que je pense est peut-être la preuve que je réside, non dans l’intellect, mais dans la grande terre humide où travaillent mes racines.

 

16 février

J’ai eu une jeunesse active. J’ai fait huit ans de rugby, deux ans de boxe, de l’athlétisme, j’aimais danser. Et puis, à dix-neuf ans, avec la rencontre de Marité, ont commence des années de détresse. Mais quand prendront-elles fin ? Aujourd’hui encore la souffrance est à l’œuvre.

17 février

                L’insoutenable. Oui, je suis voué à l’incertitude, à la haine des contraires, à la faim. Parfois de vagues lueurs. Puis une nuit encore plus inextricable. Et notamment la peur. Les soubresauts de la colère, la recherche fébrile d’une issue. Et la fatigue, la fatigue, la fatigue.

18 février

                Un tel épuisement qu’il semble que la souffrance devrait lâcher prise. Et pourtant, il n’en est rien.

                La beauté, qu’est-ce ?

21 février

                Lors des premiers contacts avec un être, avant toute chose, s’attacher à discerner les peurs qui l’habitent, les formes qu’elles revêtent. Car c’est avec ces peurs qu’il faudra compter dans les échanges à venir.

                Chaque difficulté surmontée, chaque étape franchie, ne nous dispense aucunement d’être à chaque instant face à l’inconnu.

                Dans le dialogue, il ne faut pas réfuter, argumenter, mais accueillir, s’accroître de tout ce que nous dit autrui, le mêler à notre substance intérieure.

                Ainsi, pour celui qui sait écouter et démêler le vrai du faux, la vérité, à la fois une et multiple, s’augmente-t-elle d’elle-même en toute occasion.

                Il m’a fallu arriver à trente ans pour comprendre que la timidité me limitait, me faisait manquer des rencontres, m’alourdissait, m’ôtait toute spontanéité, me plongeait dans des complications intérieures parfaitement stériles, et que je devais, non m’en accommoder comme je le croyais jusqu’alors, mais la combattre.

[…]

25 février

[…]

 Il est tout de même vertigineux de penser que chaque être – le plus fruste, le plus indigent – est unique, qu’il a une histoire propre, sa manière à lui d’exister, que son être intime est profondément singulier. Face à toute nouvelle personne qui se livre à nous, que nous apprenons à découvrir, il faut se tenir transparent, sans mémoire, sourd aux réactions du moi, et résolu à accueillir avec bienveillance, compréhension, cet être autre qui, parce qu’inconnu, insoupçonné, nous paraîtra d’autant plus surprenant.

[…]

 

CHARLES JULIET, JOURNAL 2   1965 -1968, HACHETTE

 (édition originale)

p.31-35

 

 

 

 


ANTHOLOGIE SUBJECTIVE oeuvre de CHARLES JULIET | 13.08.2024 | JOURNAL I , 1957- 1964 | 1978

 

JOURNAL 1 CHARLES JULIET  HACHETTE 1978

Quatrième de couverture (extrait) édition originale :

Au tréfonds de l’être, une plaie suinte, que maintiennent à vif maintes de ces questions auxquelles il n’est jamais facile de fournir une réponse : vivre, le faut-il ? Et ce mot, vivre, comment le comprendre ? Quelles significations lui attribuer ? Et que doit-on faire de sa vie ? Quel sens lui donner – ou en recevoir ?  Et s’il semble rigoureusement indispensable de se connaître, cet être que je suis, quel est-il ? Dois-je le subir dans tout ce qu’il est ? Ou bien puis-je le transformer ?  Mais alors dans quel but, quelle intention ? Vais-je pouvoir brûler ce qui m’encombre, désenfouir mon noyau, ne garder en moi que ce qui procède de l’élémentaire, l’originel ? Et cet autrui dont je viens de vérifier à quel point il est mon semblable, vais-je pouvoir le rejoindre ?  Et si je cède à ce désir de me connaître, comment dissoudre l’angoisse qu’il suscite ? Comment vaincre la peur de la vie ? La peur de la mort ?...

Mais quand ces questions le taraudent, l’être n’est pas à même de se les formuler. Elles sont tout d’abord qu’un malaise, un désarroi, une lancinante sensation d’exil, l’âpre nostalgie de que l’on ne saurait nommer, une infranchissable solitude. Et c’est à son insu que l’être se trouve progressivement engagé dans une aventure dont il ne soupçonne ni en quoi elle ne réside ni où elle est susceptible de le mener.

Les notes rassemblées dans ce journal sont les traces laissées par un homme embarqué dans une telle aventure, et qui des années plus tard, devra s’avouer qu’en se scrutant la plume à la main, il n’a fait qu’obéir à un urgent besoin de se révéler à soi-même, se clarifier, s’unifier, à l’impérieuse nécessité d’accéder à la liberté, la connaissance, une ineffable lumière.

Dans ce premier volume, et parce que toute descente en soi est une descente aux enfers, on le découvre aux prises avec l’ennui, le dégoût, la peur, le marasme, la haine de soi, la menace d’une issue tragique. Mais rien ne peut le détourner de poursuivre sa quête. Armé d’une inflexible résolution, il s’acharne à se désentraver, se mettre à nu, explorer l’un après l’autre chacun des recès de son labyrinthe.

[…]

CHARLES JULIET, JOURNAL 1 | 1957-1964, Hachette éditeur, 1978


ANTHOLOGIE SUBJECTIVE oeuvre de CHARLES JULIET | 12.08.2024 | TROUVER LA SOURCE | Réédition la Passe du Vent | 2020

Trouver la source  Charles Juliet à la Passe du Vent

 

Pourquoi écrire

 

Réponses données en désordre et qui se recoupent, se chevauchent,

       évoquent sous différents angles ce qui explique la quête de soi.

 

Écrire pour obéir au besoin que j’en ai.

Écrire pour apprendre à écrire. Apprendre à parler

Écrire pour ne plus avoir peur.

Écrire pour penser mes blessures. Ne pas rester

Prisonnier de ce qui a fracturé mon enfance.

Écrire pour ne pas vivre dans l’ignorance.

Écrire pour surmonter mes inhibitions, me dégager

de mes entraves.

 Écrire pour déraciner la haine de soi. Apprendre à m’estimer.

 Écrire pour déterrer ma voix.

 Écrire pour me parcourir, me découvrir. Me révéler

à moi-même.

 Écrire pour épurer mon œil de ce qui conditionnait sa vision.

Écrire pour me clarifier, me mettre en ordre, m’unifier.

Écrire pour conquérir ce qui m’a été donné.

Écrire pour gravir la pente qui mène à la simplicité.

Écrire pour tenter de réduire, de dissoudre le moi.

Écrire pour devenir plus conscient de ce que je suis, de ce que je vis.

Écrire pour affiner et aiguiser mes perceptions.

 Écrire pour savourer ce qui m’est offert. Pour tirer le suc de ce que je vis.

 Écrire pour repousser mes limites, agrandir mon espace intérieur, me rendre plus libre.

 Écrire pour soustraire ( par-delà la lucidité conquise) une naïveté, une spontanéité, une transparence.

Écrire pour produire la lumière dont j’ai besoin.

Écrire pour tenter de voir plus loin que mon regard ne porte.

Écrire pour donner sens à ma vie. Pour éviter qu’elle ne demeure comme une terre en friche.

Écrire pour susciter cette mutation qui me fera naître une seconde fois.

Écrire pour m’inventer, me créer, me faire exister.

Écrire pour m’employer à devenir meilleur que je ne suis.

Écrire pour faire droit à l’instance morale qui m’habite.

 Écrire pour affirmer certaines valeurs face aux égarements d’une société malade.

 Écrire pour être moins seul. Pour parler à mon semblable.

Pour chercher les mots susceptibles de le rejoindre en sa part la plus intime. Des mots qui auront peut-être chance de la  révéler à lui-même.

De l’aider à se connaître et à cheminer.

Écrire pour mieux vivre. Mieux participer à la vie.

Apprendre à mieux aimer.

Écrire pour que me soient donnés ces instants de félicité où le temps se fracture, et où, enfoui dans la source, j’accède à l’intemporel, l’impérissable, le sans-limite.

 

 

CHARLES JULIET – Trouver la source ( 3eme édition augmentée 2022). LA PASSE DU VENT – p.99-101.


ANTHOLOGIE SUBJECTIVE oeuvre de CHARLES JULIET | 11.08.2024 | DANS LA LUMIERE DES SAISONS lettres à une amie lointaine | Réédition| 2022

 

 

DANS LA LUMIERE DES SAISONS CHARLES JULIET


 

Mon Amie,

 

    Je viens de relire vos lettres. Pour vous retrouver, réanimer en moi votre présence, renouer le fil de notre dialogue trop souvent interrompu.

    L'hiver est donc chez vous la meilleure saison. Ciel clair, temps doux et sec. Je comprends que vous vouliez mettre à profit ces semaines où vous n'êtes pas gênée par la chaleur, pour avancer votre thèse. Vous voici maintenant à mi-parcours. Encore quelques mois de travail et vous serez libérée. Mais après avoir mis le point final à cette somme qui vous aura retenue plusieurs années, et avant d'entreprendre ce roman dont vous me parlez dans votre dernière lettre, un temps de transition vous sera sans doute nécessaire. Ne précipitez rien. Laissez mûrir ce livre en vous. Et lorsque vous aurez à l'écrire, tout sera plus facile.

    Dans votre avant-dernière lettre, vous vous étonnez que je puisse prétendre que tous ces livres que j'ai lus ne m'aient pas enrichi. Je suis heureux que vous me donniez l'occasion de revenir sur ce point. Après vous avoir envoyé la lettre où je vous disais cela, je n'ai cessé d'y songer, et je regrettais de vous avoir écrit une chose si  peu conforme à ce qui fut.

    Tout d'abord, une précision, laquelle pourrait répondre à une pensée qui vous est peut-être venue, mais que par amitié vous avez préféré taire : je ne suis pas de ceux qui tiennent à faire croire qu'ils puissent tout en eux-mêmes et ne doivent rien à autrui. Je n'ai jamais eu ce type d'attitude et n'ai jamais compris ceux qui l'ont.

    Lorsque j'ai écrit les lignes incriminées, je n'ai pas eu conscience qu'en essayant de répondre à la question posée, je m'étais arrêté à un point de vue où je ne prenais pas en considération que ces valeurs, ces idées qui me guident dans l'existence et gouvernent mon travail. Ces valeurs et ces idées étaient enracinées en moi dès l'adolescence, à une époque où je n'avais encore rien lu, et je voulais donc uniquement dire qu'elles n'avaient  pu être transfusées en moi par des livres?

    Pour le reste, il va de soi que mes lectures m'ont énormément apporté. Pendant ces années passées, elles ont été ce goutte-à-goutte qui a fait passer dans mon sang et dans ma tête ce qui m'a permis de subsister et de grandir.

    C'est en fréquentant avec assiduité certaines oeuvres de premier plan, c'est en dialoguant intensément avec elles, que je me suis construit, que j'ai appris  à penser et à écrire. D'ailleurs , comment concevoir que j'aurais passé des centaines et des centaines d'heures à dévorer des livres, si je n'avis tiré le plus grand profit de ces lectures ?

    Dans ma lettre, en ne me limitant qu'à un aspect très particulier qu'impliquait la question, j'ai donc "té amené à écrire le contraire de ce que j'aurais dû dire. Preuve supplémentaire, si besoin était, des énormes difficultés qu'on rencontre dès qu'on écrit !

    Je touche d'ailleurs là à ce que j'appellerai une des tares de l'humanité : cette incapacité où nous sommes de nous exprimer avec clarté et précision, et de telle sorte que ce qui est formulé ne puisse être interprété. Un homme se raconte, cherche à livrer ce qu'il est, ce qu'il vit dans son coeur et sa tête, mais que passe-t-il  de lui dans les mots qu'il emploie ? Tant d'incompréhension, de souffrances, de drames naissent de ce décalage existant entre ce qu'est un être et les mots à l'aide desquels il a l'illusion de se dire.

 

 

CHARLES JULIET -  DANS LA LUMIERE DES SAISONS 

lettres à une amie lointaine  2002  (réédition P.O.L poche 2022), p. 61-65

    

   

« J’ai demandé à Florence Marguier de recréer en elle les mots qu’elle avait à faire vivre, de les charger de ce que j’avais déposé en eux à l’intention de cette amie lointaine. Mais surtout, je lui ai recommandé de chercher à atteindre cet art sans art auquel parvenaient à la fin de leur existence les meilleurs des peintres de la Chine ancienne. » 

Charles Juliet

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ANTHOLOGIE SUBJECTIVE oeuvre de CHARLES JULIET |10.08.2024 | Hadewijch d'Anvers, Textes choisis et présentés par Charles Juliet | 2012

 

HADEWIJCH D'ANVERS par Charles JULIET

 

 

Hadewijch d'Anvers était un être de feu. Un être dévoré par un désir taraudant, d'une inimaginable intensité : le désir d'atteindre ce qu'elle appelait "la fruition", cette jouissance où l'être échappe à ses limites, est porté au plus haut de lui même par une exultation, une félicité, un amour extrêmes, proprement indicibles. Mais cette transfiguration consume une telle énergie qu'elle ne peut durer. Assez vite, l'être retombe dans son quotidien, dans l'ordinaire des jours. Toutefois, ce qu'il a vécu était d'une si rare violence qu'il est repris par le désir de le vivre à nouveau. Commence alors l'attente, cette autre forme de la brûlure. Tout paraît insipide et le désir qui ne trouve pas à s'assouvir ne fait que s'exacerber. Tourments du délaissement. Espoirs déçus. Doutes. Cet instant où l'être s'embrase ne reviendra-t-il donc jamais.

[...]

Qui était Hadewijch d'Anvers ? En fait, nous ne savons rien de la femme qu'elle a été, sinon qu'elle était sans doute d'origine aristocratique, qu'elle a vécu dans la première moitié du XIIeme siècle, et qu'elle était une béguine.

    Les béguinages, communautés de béguines, sont apparus à la fin du XIIeme siècle et au début du XIIIeme en Belgique, aux Pays-Bas, dans le sud de l'Allemagne et dans le pays rhénan. Se réunissaient là des aristocrates non mariées , et des veuves. En ce temps là, bien des hommes allaient guerroyer et trouvaient la mort sur les champs de batailles.

    Ces femmes menaient des vies de prière, de méditation, se livraient à des oeuvres de charité, distribuant des vivres, soignant des malades. Elles ne prononçaient pas de voeux et devaient assurer leur subsistance. En général, elles étaient mal vues par le clergé. Vivant avec austérité, elles étaient un reproche pour les clercs dépravés qui ne tenaient guères compte des valeurs évangéliques. En outre, elles se refusaient à  obéir aux autorités ecclésiastiques et pour ces différentes raisons, elles furent souvent persécutées. Les béguinages furent même considérés comme des foyers d'hérésie.

[...]

On suppose que l'activité littéraire de Hadewijch  est à situer entre 1220 et 1240. Ses écrits se composent de 19 poèmes, de quatorze visions et de trente et une lettres. Pendant plusieurs siècles ces textes ont été oubliés ou peut-être mis à l'écart.

[...]

 

Une faim insatiable

(Poèmes)

 

L'amour est un combat

    Ce premier poème contient déjà l'essentiel de ce que Hadewijch va se développer dans les suivants. L'amour est un combat à mener contre soi-même et contre Celui qui parfois se dérobe. Vivre cet Amour est une aventure en laquelle il faut se risquer. Elle exige hardiesse, courage, ténacité, oblige à surmonter les épreuves qui surgissent en chemin. Hadewijch  n'est pas libre de refuser ce qui lui est imposé. Bien que se sachant insuffisante, elle doit consentir à ce feu qui la possède.

"Les étranger" ce sont ceux qui n'ont ni la connaissance de cette expérience intérieure ni la connaissance de ce qu'elle vit. Ils la jalousent , lui sont hostiles, chercheront à lui causer des ennuis. Peut-être se trouve-t-il  parmi eux des représentants de l'autorité ecclésiastique, voire des inquisiteurs.

[...]

 

Poème 1

[...]

Les âmes fières

qui affrontent l'Amour

ont une pensée droite et pure :

"C'est ici que la victoire m'attend.

Je veux gagner. Que Dieu m'accorde

ce qui convient au seul Amour.

Mais si tel est son bon plaisir

Le désastre sera mon honneur."

Vous tous qui désirez aimer l'Amour,

d'un coeur patient, tentez l'aventure.

 

Que faire, pauvre femme que je suis !

Vais-je haïr mon destin ?

Je regrette de vivre !

Je ne peux aimer ni cesser d'aimer.

De surcroît, l'aventure et le destin

se montrent cruels : je suis abandonnée

de moi-même et de tout être !

C'est une véritable injure.

Amis, laissez-vous attendrir

par celle que l'Amour a fait pleurer.

 

Hélas ! je fus très tôt conquise

par l'Amour

et me fiais à son pouvoir : 

c'est pourquoi me condamnent

les amis et les étrangers, jeunes ou vieux,

que je sers avec application,

appelant sur eux les faveurs de l' Amour.

Amis, n'hésitez pas à prendre ma défense

puisque le sort m'est injuste.

 

Ah ! Pauvrette ! Je ne peux me donner

ni la vie ni la mort.

Pourquoi faut-il doux Seigneur

que ces gens veulent me nuire ?

Qu'ils nous laissent donc le soin

de me punir pour mes fautes :

vous me ferez bonne justice

et eux ne subiront aucun dommage.

C'est de la haine et non de l'amour que vous témoignez, 

vous qui ne laissez pas agir le seigneur. 

 

Ces indiscrets qui se penchent sur mon âme,

ils ne peuvent aimer l'Amour.

Mieux vaudrait pour eux qu'ils suivent le chemin

où l'on apprend à vous connaître. 

Ils prétendent vous aider à me conduire

alors qu'il n'en est nul besoin.

Vous savez frapper ou absoudre

et nous mettre à l'épreuve dans la claire vérité.

Amis, prenez le parti de Dieu,

qu'il rende justice ou qu'il pardonne.

 

Salomon vous conseille sagement

de ne point scruter les secrets

qui dépassent nos forces,

de ne pas chercher à élucider

ce qu'on ne peut comprendre,

et aussi de laisser l'Amour

nous asservir ou nous rendre notre liberté.

Vous tous qui montez chaque jour

d'un nouveau degré jusqu'au secret de cet Amour;

 

[...]

 

Que Dieu nous donne le sens nouveau

d'un amour plus noble, plus libre.

Qu'on lui notre vie renouvelée

reçoive toute bénédiction.

Que ce goût nouveau nous donne une vie nouvelle

comme nous le donne la fraîcheur de l'amour.

L'amour est une récompense insigne et nouvelle

pour ceux dont la vie se renouvelle.

Vous qui nouvellement désirez connaître

un nouvel amour en ce nouveau printemps.

 

Des hauts et des bas

  Hadewijch connaît parfois des heures sombres. Elle n'accède plus à l'extase, ne reçoit pas ce qu'elle espère. L'Amour la délaisse, la frustre, elle se sent abandonnée. En conséquence, elle se croit fautive, doute d'elle - même , s'adresse des reproches. Aridité. Lassitude. Abattement. C'est ce que les moines orthodoxes nomment " l'acédie", marquée par la léthargie, une attente morne, une sécheresse intérieure qui semble ne jamais prendre fin. Hildegarde de Bingen écrira : " Je ne sens rien au-dedans de moi, sinon l'inquiétude du doute et du désespoir."

    L'Amour a des exigence exorbitantes. On ne peut que mal le servir, lui être étranger, souvent le trahir en ne répondant pas à son appel?

     Ici où là,  Hadewijch a usé de termes empruntés à la chevalerie - "assaut", "fières chevauchées" - l'une des castes de cette époque. Hadewijch a pu se reconnaître dans son idéal de loyauté, de vaillance , de fidélité.

 

Poème 2 ( deux premiers vers)

[...]

Qu'ai-je donc fait au bonheur

pour qu'il se refuse à moi.

[...]

 

 

 

 

CHARLES JULIET, HADEWIJCH D'ANVERS , Une femme ardente.

Textes choisis et présentés par Charles Juliet.

Points | Voix spirituelles - SAGESSES | 2012 | p. 7-9, 19-21,23

 


9/08/2024 | ARCHIVES | Le théâtre et vous Interview inédite de Charles Juliet à Lyon par Réjane Niogret | Charles lit le poème "A Anne de Boissy", Café Français, février 2014

 

Le théâtre et vous

Interview inédite de Charles Juliet à Lyon

 

  Sur la Presqu'île, cœur de la ville de Lyon qui bat au rythme de deux fleuves, se trouve le café préféré de Charles Juliet, qui vit tout près. La colline de Fourvière, qui domine ce lieu plein de charme, s'invite au rendez-vous avec le grand écrivain.

RÉJANE NIOGRET : Au mois de juin 1985, la danseuse et chorégraphe Carolyn Carlson a présenté à Lyon, sur la scène du Grand Théâtre de Fourvière, un solo de danse contemporaine qui a marqué le siècle. Charles Juliet, vous étiez parmi les spectateurs qui ont découvert ce soir-là Blue Lady, le solo mythique dans lequel la créatrice décrit les différents âges et humeurs dans la vie d'une femme. Cette représentation vous a inspiré un texte majestueux : « Le théâtre romain de Fourvière », nous permettant de nous asseoir à vos côtés sur les gradins et de vivre par tous nos sens le début de la représentation. Est-il possible que trente ans plus tard vous ayez conservé le souvenir de la représentation ?

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Charles Juliet - Café Français - Photo Réjane Niogret (c)

CHARLES JULIET : Oui bien sûr, c'était un grand moment. Comme je l'ai écrit, c'était un « moment d'éternité ». On sent qu'on est vraiment hors du temps. On vit un moment d'une telle beauté qu'on est vraiment projeté ailleurs, qu'on oublie tout et qu'on est simplement là, dans ce regard, à absorber ce qui vous est donné. Je me souviens très bien de ce trouble qui m'avait gagné parce qu'on ne voyait pas bien ce qui se passait. Il y avait cette longue haie et puis ce qui semblait être un long ruban rouge, je crois. On ne comprenait pas et c'est très très lentement qu'on a vu apparaître une main ou un pied, on ne savait  pas encore bien. Tout ça c'était vraiment magique. Quand on en parle, on ne peut pas restituer ce qu'il se produisait. Et puis c'est lentement, lentement, qu'on découvre que cette sorte d'immobilité n'est pas totalement immobile, si j'ose dire. C'était comme une statue qui se mettrait à vivre. Et puis progressivement on découvre des gestes d'une extrême lenteur : Carolyn Carlson est là.

  Je vous propose que nous poursuivions notre évocation de la scène en nous intéressant plus particulièrement au théâtre. Vous qui êtes un grand lecteur, qui aimez être en connivence avec un texte dans le silence de votre vie intérieure, que vous apporte d'autre le théâtre ?

CHARLES JULIET : Tout d'abord, il faut qu'une pièce soit une réussite parce que si ça n'est pas remarquablement mis en scène et remarquablement joué, eh bien la magie ne se produit pas. Mais lorsque tout est réuni, quand il y a effectivement une très belle mise en scène avec des comédiens doués qui incarnent parfaitement leur rôle, alors on vit vraiment des grands moments. Il m'est arrivé de vivre de très bons moments au théâtre et notamment au théâtre de Fourvière. Je revois très bien certaines images d'une pièce du répertoire ancien, je ne sais plus si c'était Eschyle ou Sophocle, jouée par une troupe de Grenoble. C'était extrêmement bon. C'est toujours passionnant de voir incarné sur scène tous les problèmes de l'être humain, et c'est en cela que le théâtre nous parle profondément.

  Vous avez publié en décembre 2000 une pièce de théâtre sur la vie et l'œuvre du poète  allemand Friedrich Hölderlin (1770-1843). Vous avez choisi une forme littéraire qui ne vous est pas habituelle puisque Un lourd destin est, après Écarte la nuit, votre seconde pièce de théâtre. Comment ce choix s'est-il imposé à vous ?

CHARLES JULIET : J'avais passé en 1986 plusieurs mois en Allemagne et notamment dans la ville de Tübingen qui se trouve dans le sud, en Souabe. C'est dans cette ville que Hölderlin a passé une grande partie de sa vie. C'est là qu'il avait fait ses études de théologie en vue de devenir pasteur, et qu'il y a vécu ses trente six dernières années, recueilli par un menuisier dans une toute petite maison, sur la rive du Neckar, alors qu'il était malade mental. Cette petite maison est devenue depuis le musée Hölderlin. J'ai vécu là-bas et suis devenu ami avec la directrice de ce musée. J'y ai rendu de nombreuses visites. J'ai consulté des reproductions remarquables de ses manuscrits, à tel point qu'on croirait avoir les originaux dans les mains. Bien sûr j'ai lu son œuvre, notamment sa correspondance qui me touche au plus haut point. Je suis parti de Tübingen avec l'idée d'écrire quelque chose sur Hölderlin mais je ne savais pas quoi. J'ai laissé passé les mois et même peut-être je crois les années, et puis un jour j'ai compris que je pouvais peut-être aborder tout cela par une pièce de théâtre. D'emblée j'ai su que je n'avais pas à mettre sur scène Hölderlin, qui est un personnage mythique en Allemagne, et qu'il est impossible de représenter. Je me suis contenté de faire évoquer sa vie par différentes personnes qui l'ont connu, et c'est comme ça que j'ai écrit cette pièce. Je ne me suis pas soucié du problème de représentation et me suis contenté d'écrire.

 

Votre pièce a-t-elle été jouée?

 

CHARLES JULIET : Elle a été créée en 2002 par Roger Planchon au TNP de Villeurbanne. J'ai été surpris parce qu'il y avait un décor très important, à mon sens trop important et qui peut-être faisait un peu disparaître le texte. Planchon avait rassemblé tellement d'éléments se rattachant de près ou de loin à la vie et à la pensée d'Hölderlin que pour les gens  qui venaient voir cette pièce les intentions n'étaient pas lisibles. J'ai donc un peu regretté ce décor trop imposant. Néanmoins je crois que la pièce a touché. Elle a d'ailleurs été représentée en différentes villes. Malheureusement le décor trop important faisait qu'il était difficile de se déplacer. Il fallait un gros camion, beaucoup de techniciens et ça rendait  la pièce beaucoup plus chère.

 

A-t-elle été créée par d'autres compagnies ?

 

CHARLES JULIET :  Il s'est trouvé que deux ou trois jours après avoir vu la première à Villeurbanne, j'ai vu la même pièce montée à Tübingen dans un petit théâtre à vingt mètres de la tour et du musée Hölderlin. Alors là c'était tout autre chose ! Le décor était peu important mais tout ça était très bien pensé, dans un style un peu expressionniste. J'avais été très frappé par cette représentation qui vraiment n'avait strictement rien à voir avec celle qui avait été donnée au TNP de Villeurbanne.

 

  Votre texte avait été traduit?

 

CHARLES JULIET : Oui bien sûr. Traduit et publié en Allemagne. Traduit précisément par la directrice de ce musée Hölderlin, de la tour Hölderlin, parce que cette femme connaît fort bien le français et évidemment fort bien l'allemand ; elle a donc fait une bonne traduction.

 

  Y a-t-il eu d'autres créations d' Un lourd destin en France ?

 

CHARLES JULIET : Non, mais ma première pièce qui avait d'abord été montée à Lyon dans ce qui était à l'époque le théâtre du huitième arrondissement, avait ensuite été montée en Belgique. Et plusieurs fois, le récit Lambeaux a été porté à la scène. 

  Vos récits, qui touchent profondément de nombreux lecteurs, sont très prisés des gens de théâtre. Vous attendiez-vous à ce que vos œuvres inspirent ainsi les metteurs en scène, les comédiens, les scénographes ?

 

CHARLES JULIET : Évidemment pas, parce que lorsque j'ai écrit mes récits, Lambeaux et L'année de l'éveil, je ne pensais pas du tout qu'on en tirerait un jour des pièces.µ

 

  C'est plaisant pour un écrivain?

 

CHARLES JULIET : Oui c'est toujours intéressant, c'est une autre manière de faire vivre ce que vous avez écrit. J'ai vu différentes mises en scène de Lambeaux et L'année de l'éveil a aussi été joué dans un petit théâtre à l'intérieur du centre Georges Pompidou. C'est toujours  passionnant de voir comment un metteur en scène s'approprie un texte pour en créer autre chose.

  Lambeaux, ce récit rayonnant qui est un hommage à vos deux mères a donc, comme vous venez de le dire, fait l'objet de plusieurs adaptations théâtrales. Pouvons nous évoquer ensemble le spectacle créé en 2005 par le collectif de théâtre lyonnais les Trois-Huit ?

CHARLES JULIET : Je précise que la comédienne Anne de Boissy, qui a donc créé le spectacle, va le redonner lors de quatre soirées au TNP de Villeurbanne, en mars. Anne de Boissy, une très bonne comédienne qui a beaucoup de sensibilité, beaucoup d'intelligence, a parfaitement su recréer sur scène ce texte. Elle est seule. C'est elle qui a fait les suppressions nécessaires parce que des passages n'avaient pas à être gardés. Elle développe tout ce récit qui touche énormément de gens car, après, beaucoup ont les larmes aux yeux ou se mettent vraiment à pleurer. Je suis plein de reconnaissance envers Anne de Boissy pour le très bon travail qu'elle a fait.

 

  Vous avez publié en 2006 un poème qui est un hommage à Anne de Boissy, Acceptez-vous, pour terminer cet entretien, de nous en offrir la lecture ?

 

CHARLES JULIET : Bien volontiers.

 

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5 février 2014, le Café Français, Lyon

 


ANTHOLOGIE SUBJECTIVE oeuvre de CHARLES JULIET | 08.08.2024 | ACCUEILS (poche), Journal IV, Lettre à G. | 2000

 

ACCUEILS Journal  IV  Charles JULIET

    

2 avril (1983)

                Dans cette lettre que je viens d’adresser au metteur en scène, je dis des choses qui me tiennent à cœur. C’est pourquoi je veux l’introduire ici.

                Cher G.

                J’ai certaines choses à te dire et je préfère les mettre par écrit.

                J’ai repris ce matin le texte de ma pièce, et me remémorant ce que j’ai vu hier, à la répétition du troisième tableau, je me suis rendu compte que tu avais pratiqué des coupes sombres et cela, sans me consulter. Il me faut donc te dire que je ne puis accepter cette manière de faire. J’étais évidemment d’accord – et je t’en ai fourni la preuve en procédant moi-même à quelques suppressions – pour resserrer l’ensemble, lui donner plus de densité, un rythme plus soutenu. Mais je ne puis consentir à ce que tu mutiles ma pièce jusqu’à faire que je ne la reconnaisse plus. A force de coupures, le troisième tableau devient un texte informe, sans articulations, qui n’est plus compréhensible et qui a perdu tout pouvoir d’émotion.

                Si ma pièce ne te convenait pas, il fallait me le dire et renoncer à la monter. Mais puisque tu l’as acceptée, tu n’as plus le droit, maintenant, de la remodeler à ta guise et d’en faire ce que bon te semble.

                Quand j’ai assisté à la première répétition, je ne te cache pas que j’ai été consterné. Et je me suis demandé par quels bizarres cheminements tu en étais venu à faire du compagnon un histrion qui se situait constamment dans la dérision ?

                Les deux hommes, au début, devaient marcher, errer en quête d’un ailleurs, et toi, , tu as décidé qu’ils resteraient immobiles. Ainsi, tout ce tableau perd son sens. Tu as peur, m’as-tu dit de verser dans le réalisme. Tu as tort. Il y a une règle impérieuse et que tu devrais connaître – je ne suis certes pas le premier à la découvrir, puisque des écrivains aussi différents que Novalis, Kafka, Buzzati…, l’ont formulée et mise en pratique bien avant moi – une règle qui veut que lorsqu’on parle de la réalité intérieure, par définition invisible, insaisissable, ou d’une réalité fantastique, il importe de l’ incarner  dans une réalité toute simple, quotidienne, en vue de lui donner présence et vraisemblance. Le réalisme n’est prosaïque et ennuyeux s’il ne renvoie qu’à lui-même. Mais dès lors qu’il est la traduction d’une réalité autre, qui le déborde de toutes parts, comment pourrait-il nous paraître banal, pauvre, limité ?

                Pour te comporter avec cette pièce comme tu le fais, j’en viens à douter que tu l’aies comprise. Que tu te sois aventuré là où elle plonge ses racines. Je suis terriblement ennuyé de te dire des choses qui te paraîtront désagréables, mais je ne puis faire autrement. Car au nom de quoi t’arroges-tu le droit de dénaturer ce que j’ai écrit ? Et ne viens pas me dire qu’en cette circonstance je me montre susceptible. Je ne te demande que de monter ma pièce le plus simplement, le plus fidèlement possible. Cen’est tout de même pas avoir des exigences inconsidérées. Si tu avais écrit une pièce, accepterais-tu que sans que tu n’aies eu à donner ton avis, on la tripatouille, et qu’en cours de répétition, on t’impose une mouture dont tu ne souhaites aucunement endosser la paternité ? Ton attitude frôle – pour ne pas dire plus – la malhonnêteté intellectuelle. Je sais qu’à notre époque, il est de bon ton que les metteurs en scène, un rien mégalomane, prennent les pires libertés avec l’œuvre qu’ils montent. C’est me semble-t-il, faire preuve d’un beau mépris à l’endroit de son auteur. Mais ne te crois pas autorisé à défigurer ce qu’un autre a écrit.

                Cette pièce que je t’ai remise, je puis affirmer sans exagération, qu’elle est le fruit de trente ans de travail, de doute, de réflexion, de recherche intérieure, de cheminement… Je suis donc fondé à exiger qu’on ait pour elle un minimum de respect. Toutefois, tu estimes peut-être qu’elle n’est pas au point et qu’il t’appartient de l’améliorer. Mais – à supposer que j’acquiesce à ton désir d’intervention – en as-tu la compétence ? Es-tu certain de savoir mieux que moi ce qu’est le théâtre ?

                J’ai bien des questions à te poser. Et j’aimerais que face à toi-même, tu cherches à leur donner réponse.

      • Pourquoi tiens-tu absolument à faire des spectacles courts ? Est-ce par manque de confiance ? Par peur de ne pouvoir tenir la distance ? (Plusieurs connaissances et amis m’ont confié qu’à la fin du spectacle Camus, ils pensaient qu’il s’agissait de l’entracte. Ce qui signifie qu’ils sont restés sur leur faim.)
      • Pourquoi refuses-tu la gravité et l’émotion ? Pourquoi en as-tu peur ? Pourquoi introduire systématiquement la dérision là où elle n’a que faire ? que ce soit chez Thérèse d’Avila, chez Camus ou chez moi ?
      • Pourquoi construire tes mises en scène, non en fonction de ce qu’exige le texte, mais avec quasiment l’unique préoccupation d’éviter les objections que tu supposes qu’on pourrait te faire ? Ne vois-tu pas que cette démarche es tle contraire de celle que tu devrais avoir, et qu’elle exclut que tu fasse jamais œuvre personnelle ? S’il me fallait écrire en songeant à ce que tel ou tel pourrait penser de moi, mais où irais-je ?  Je n’aurais plus qu’à croiser les bras.

En conclusion – Et Dieu sait si je suis malheureux d’avoir à utiliser ce ton – il me faut te dire ceci :

    •            soit tu révises ta position, et dès lors, je puis continuer à participer à cette aventure. Mais étant donné la manière dont les choses sont engagées, la volonté de pouvoir que tu manifestes, je doute que tu acceptes de m’écouter ;
      • soit tu ne tiens aucun compte de ce dont je te fais part, et en ce cas, je ne puis que me retirer. Ce n’est pas là une menace, ni une manière de chantage. Mais tu conçois que je ne peux cautionner un travail qui n’a pas mon approbation. Dans cette hypothèse, nous devrons renoncer à la lecture du 23 avril. Et il va de soi que je ne pourrai être présent à la conférence de presse, ni participer aux émissions prévues. Si on vient me demander les raisons de mon absence à tes côtés, je serai dans l’obligation de les donner. Mais je veillerai à ne rien dire qui puisse porter préjudice à ces représentations. Je ne peux perdre de vue le travail et l’argent qui ont été investis dans cette entreprise, et d’autre part, je ne mets aucunement en doute  te sincérité et ta bonne foi.

J’ai écrit ces lignes dans le calme, sans le moindre dépit ni la moindre agressivité, et je te demande instamment de croire qu’à aucun moment je n’ai voulu te blesser. Mais dans cette affaire, des choses qui me semblent d’une certaine importance sont en jeu. Je me trouvais dans l’obligation de les aborder avec franchise. […]

10 mai

                                               Ma pièce a été jouée pendant trois semaines. On m’a dit que j’avais écrit :

      • une pièce jungienne,
      • une pièce dans laquelle on retrouvait tous les grands symboles de la Bible,
      • une pièce philosophique,
      • une pièce métaphysique.

Un ami m’a reproché son symbolisme, laissant entendre que j’ai délibérément recouru à des symboles. Or il n’en est rien. Je ne fais que parler de ce que j’ai vécu. A partir de ce qui s’est déposé en moi depuis ma plus tendre enfance. Quand je parle d’un arbre, d’une source, d’une terre labourée, ce ne sont pas pour moi des symboles. Tout cela me vient de souvenirs très précis.

                L’arbre, les arbres sont ceux que je caressais et contemplais quand j’allais garder mes vaches en un lieu qui se nomme « Paradis »/

                La source, est celle qui courait dans un bois, au-dessus de la route de Breigne.

                La terre labourée, elle est celle que nous avions au Pont-Levrat. Le bruit feutré du coutre coupant les herbes et la terre. Cet autre bruit tout aussi doux de la terre glissant sur le soc puis versant dans le sillon précédemment creusé. Le plaisir de voir la terre s’animer et marcher dans le sillon qui s’ouvrait devant moi. Le plaisir de voir luire les mottes. Le plaisir de voir la beauté de ce champ brun-ocre strié de larges raies bien parallèles. La sensation désagréable de la terre s’infiltrant dans mes galoches et poissant mes pieds nus. Cette joie, au bout du champ, quand le père me laissait diriger l’attelage et manœuvrer la charrue.

                Si je me suis exprimé à l’aide de symboles, je puis affirmer qu’ils se sont formés en moi à mon insu.

 

 

CHARLES JULIET, Accueils , Journal IV 6 1982- 1988  P.O.L, 2012,


ANTHOLOGIE SUBJECTIVE oeuvre de CHARLES JULIET | 07.08.2024 | UN LOURD DESTIN , une évocation de Friedrich Hölderlin| Théâtre | 2000

 

Un lourd destin

 

 

JOHANN

                Alors que j’étais enfant, une passion s’est emparée de moi : la passion de la lecture. A l’adolescence, cette passion s’est pour ainsi dire embrasée, et pris de boulimie, j’ai dévoré des dizaines et des dizaines de livres. A l’époque, je ne savais pas pourquoi j’étais possédé d’une telle passion. Par la suite, j’ai compris que ce que je cherchais dans ces livres, c’était l’essence de la vie – une vie condensée, intensifiée, magnifiée. Un inconnu m’admettait dans on intimité, me prenait pour confident et me racontait avec force détails le meilleur de ce qu’il avait vécu. Avec lui pour guide, je m’embarquais dans un voyage où tout allait me passionner de ce qu’il me donnerait à voir, à entendre et à ressentir.

                Puissance des mots ! Puissance de l’imaginaire ! Fabuleux moments qui abolissent le quotidien et me hissent à une altitude où la vie se fait toujours plus riche, plus désirable, plus excitante…

                De ces livres que j’ai lus, certains sont oubliés. D’autres ont laissé en moi des traces profondes. Un jour, je me suis rendu compte que les écrivains que j’aime particulièrement sont ceux dont la vie et l’œuvre ne présente aucune discordance, ceux qui ont vécu en accord avec leurs idées, en accord avec ce qu’ils ont écrit. Avec eux qui peuvent avoir quitté ce monde depuis longtemps, j’ai noué de ferventes amitiés, et ils sont pour moi aussi vivants que les êtres que je côtoie chaque jour. Hölderlin, Friedrich Hölderlin est de ceux-là.

                Bien évidemment, j’ai passablement fréquenté ses poèmes, ses proses, ses lettres. J’ai lu aussi les témoignages que nous ont laissés les personnes qui l’ont connu, ainsi que des études, des essais et les biographies qu’il a inspirées.

                En outre, dans le désir d’obtenir à son sujet le maximum d’informations, de savoir sur lui le plus possible de choses, je me suis rendu en des lieux où il a vécu – Nürtingen, Maulbronn, Tübingen… Un matin, et bien que je ne sois pas un idolâtre, j’ai passé deux heures , à la bibliothèque de Stuttgart, à tenir dans mes mains, à scruter avec tendresse les feuilles grand format sur lesquelles il avait écrit et retravaillé ses poèmes.

                Une autre fois, un soir d’automne, à l’heure où la nuit descendait sur le cimetière de Tübingen, je me suis recueilli sur sa tombe. Une tombe effondrée, couverte de lierre et qu’une main inconnue avait honorée de quelques fleurs.

                Frappé par ce qu’il a écrit non moins que par les épreuves qui ont émaillé son existence, je me suis demandé à maintes reprises qui avait été l’homme Hölderlin, ne pouvant éviter de me faire de lui une certaine image. Une image forcément subjective. Il est né il y a plus de deux siècles, à une époque où les bourgeois et les notables portaient perruque, où on se déplaçait en calèche, où seuls de rares privilégiés pouvaient faire des études, et il n’est pas possible de se représenter comment on vivait et se comportait.

                Pour corriger cette image, pour tenter d’en savoir davantage. J’ai eu l’idée ce soir d’inviter à me rejoindre ceux qui ‘ont bien connu, qui ont parfois correspondu avec lui, ceux en qui Friedrich a laissé une empreinte ineffaçable. Ils égrènent leurs souvenirs, je leu poserai quelques questions, et peut-être m’aideront-ils à mieux connaître ce poète dont on s’accorde à dire qu’il est l’un de plus grands poètes de tous les temps.

 

 

CHARLES JULIET, UN LOURD DESTIN,

une évocation de Friedrich Hölderlin, Théâtre,

P.O.L, 2000, p.11-14.


ANTHOLOGIE SUBJECTIVE oeuvre de CHARLES JULIET | 06.08.2024 | Rencontres avec Bram Van Velde | 2016

 


Rencontres avec Bram Van Velde Charles JULIET 001


 

 

 

 

coulures  pertes  rigueur

abandon

impatiences

                                tensions

repentirs

une forme cherche

à naître

hésite s’affirme

cède au doute

se reprend

s’altère

se structure

et l’armature soudain

se disloque

s’efface

resurgit autre

ébauche le visage

de ce qui n’a pas

de visage

disparaît à nouveau

reparaît à nouveau

                                               développant

                                               un nouvel espace

                                               un nouveau rythme

                                               exigeant un nouvel

                                               œil

l’acte de peindre

vécu comme

impossible

rongé par

la conscience

de sa vanité

la vie

                qui surgit

la vie

qui échappe

l’affirmation

reprise

aussitôt

qu’avancée

étant atteint ce point

où il n’est rien à dire

où s’impose le besoin

d’aller au-delà

de rompre

le silence

de coûte que coûte

se risquer

à s’exprimer

pour montrer

ce qu’on ne peut

voir

figurer

ce qu’on ne saurait

dire

une vitalité

élémentaire

une force de vie

à l’état brut

parfois

la splendeur

entraperçue

du cercle

et les courants d’énergie

                                                               vacuités

                                                               et formes

                                                               fluides

une texture

serrée surchargée

à la limite

de l’implosion

parcourent la toile

ruissellent

circulent par les méandres

d’une forme large ample

                                               maintenue ouverte

                                               par des tensions

qui ne connaîtront

aucun repos

et à nouveau

la structure

se  défait

en suscite

une autre

et toutes deux

s’imbriquent

s’enchevêtrent

désorientent

l’œil

dessinent une image

évidente contrariée

                               changeante

                               énigmatique

et les couleurs vives

âpres légères subtiles

luttent s’altèrent

s’exaltent

s’assourdissent

laissent

filtrer

une transparence

inattendue

et la toile

comme un cri

un centre

éclaté

une défaite

                               une proposition

                               cent fois reprise

la toile raconte

l’histoire

de sa genèse

rayonne

discrètement

la lumière

de sa naissance

de la naissance

dont elle est née

ou bien encore

impose le portrait

de cet homme

immergé

apeuré     résolu

voué à l’incessant

la hantise du centre

qui signait

                               et ne signe plus

                                                                               BVV

 

 

 

CHARLES JULIET, Rencontres avec Bram Van Velde, P.O.L édition initiale 1998

 réédition en poche, P.O.L , , réédition 2016, p.11 -16


ANTHOLOGIE SUBJECTIVE oeuvre de CHARLES JULIET | 05.08.2024 | L' ANNEE DE L' EVEIL | réédition 2006

 

Th (2)

 

[…]  Le colonel n’a pas fait un geste, mais son regard noir est rivé sur moi. Je sursaute. Mon béret m’échappe et roule en direction du bureau. Le colonel reprend sa lecture. J’aurais préféré rester couvert. Je ne voulais pas qu’il voie mon crâne aussi lisse qu’un caillou. Avoir la boule à zéro signifie qu’on a commis de vilaines actions, alors que moi, on n’a rien de tel à me reprocher. Le clairon sonne le rassemblement en vue de la cérémonie aux couleurs. Il y a donc plus d’une heure que je suis là, et dans cette position. Les mains du colonel jouent distraitement avec un coupe-papier qui n’est autre qu’un poignard muni d’une montre. Mes jambes me font mal. A quoi s’est occupé mon chef à cette heure-ci ? Que va-t-il penser de moi lorsqu’il apprendra toute cette histoire. Me gardera-t-il son amitié ? Et elle, si elle allait m’oublier ? C’est si long deux mois. Comment vis-tu cette attente et ta solitude. Toi qui m’as déjà tant donné, se peut-il que tu m’aimes et que tu n’aies pas le pouvoir d’intervenir ?  De me retirer de cette caserne ? Au moins empêcher que ce sergent de me causer des ennuis ? Un garçon, un homme qui est aimé, cet amour devrait le protéger, le soustraire à la souffrance et au malheur, écarter de lui les laideurs et les brutalités de l’existence. Si fort est l’amour. Il produit tant de merveilles. Ce que j’ai de mieux, je te l’offre, je te le destine. Je voudrais que le chef ne revienne plus. Tes yeux blessés, quand ils me disent ta tendresse, je suis élevé au-dessus de moi-même. Une joie violente me saisit, et en même temps, je souffre, mais c’est une souffrance qui donne de la vie, et le désir gronde, et j’ai l’impression que tu m’as vidé de mes tourments, que mon être devient meilleur que moi, que je saurai enfin te parler et t’aimer. Ô oui, viens. Viens me chercher. Viens me chercher et je ne te quitterai plus. Et nous serons plus forts que ce qui se dressera devant nous, plus fort que ce qui blesse et qui use, plus fort que c equi sépare et détruit.

                Dehors, la nuit est tombée. Il y a sans doute plus de deux heures que je me tiens au garde à vous.

  • Je suppose que tu sais pourquoi tu es là ?

Je sursaute. Je bafouille :

  • Non mon colonel.
  • Je t’en prie. Ton capitaine m’a transmis cette demande de punition qui lui a été remise par un chef de section de ta compagnie. En voici le motif : Elève indiscipliné, insolent, faisant preuve en toute circonstance du plus mauvais esprit…

D’un signe de tête, je montre que je ne suis pas d’accord.

  • Ne viens pas contester ce qui a été écrit et que ton capitaine a contresigné.
  • Mais mon colonel…
  • Tais-toi.

Mon colonel, je voudrais…

  • Tais-toi. Je ne t’ai pas demandé de parler. Tu devrais te rendre compte que les lignes que j’ai sous les yeux ne peuvent aucunement me prédisposer en ta faveur.
  • Peut-être mon colonel, mais…
  • Je t’ai ordonné de te taire. Tu n’es pas là pour me raconter tes histoires. Tu es là pour écouter ce que j’ai à te dire et apprendre ce que sera ta punition.
  • Mon colonel, je vous en prie, écoutez-moi.
  • Je te donne l’ordre de la boucler. Tu m’entends ? Ce que tu as fait est grave. Des voyous comme toi, ici, on n’en a pas besoin.
  • Mais mon colonel, je ne suis pas un voyou.
  • Je vais sortir de mes gonds si tu continues. Tu es exaspérant à la fin. Je te dis de te taire. Tu m’as compris ?
  • Mais il faut que je vous explique mon colonel.
  • Si tu prononces encore un mot, tu prends la porte.
  • Mon chef de section m’a accordé son amitié, et s’il n’était pas parti en stage, rien de tout cela ne serait arrivé.
  • Tu l’as cherché. Tu devais te prendre trois jours de permission. Eh bien, cette permission, tu la passeras à la caserne.
  • Tant mieux mon colonel.

Il se lève, se précipite sur moi, et curieusement, en le voyant se dandiner, je ne peux réprimer l’ébauche d’un sourire.

  • Comment ? Qu’est-ce que j’entends ? Et avec çà tu souris ?
  • Oui mon colonel, j’ai dit tant mieux. Je n’aime pas les vacances.
  • Petit menteur. Petit effronté. Et tu ne serais pas un voyou ?
  • Ecoutez-moi mon colonel. Mon chef de section m’a…
  • Je n’ai encore jamais vu ça .

Il me prend le menton entre son puce et son index, approche son visage à quelques centimètres du mien .

  • Ne crois pas qu’on me tient tête impunément. C’est toi qui l’auras voulu. Sache que je te fous en cabane. Jusqu’au départ en vacances. Après, on avisera. A l’ombre tu auras tout le temps de te calmer.
  • Ce n’est pas si sûr mon colonel.
  • Quoi ?
  • Vous avez bien entendu mon colonel.
  • Quoi ?
  • Vous avez bien entendu mon colonel.
  • Pour ces mots, tu seras renvoyé de l’école.

J’ai cinq minutes pour quitter ma tenue 1 , me mettre en treillis, descendre avec une couverture sous le bras, et rejoindre mon capitaine qui m’attend près du porche.

  • Qu’as-tu encore fait ? Tu ne peux pas te tenir un peu tranquille. Avant, nous n’avions aucun problème avec toi. Tu as tort de vouloir jouer les fortes têtes. Tu vois où ça mène. Qu’as-tu dit au colonel pour l’avoir mis dans un pareil état ?

Je hausse les épaules. Si je prononçais un mot, je me mettrais à pleurer. Nous descendons les escaliers. Il ouvre une porte et nous trouvons dans un couloir sombre, mal éclairé par une petite fenêtre munie de barreaux, et qui donne sur une avenue menant vers la ville. Sur la droite, les portes en bois plein des deux cellules. Il ouvre la première. Il en vient une odeur désagréable de renfermé. Elle est étroite, et un bat-flanc, haut d’une cinquantaine de centimètres, en occupe toute la surface. Je jette ma couverture au fond de la cellule. Le capitaine me demande de lui remettre mes lacets et ma ceinture. Puis il fouille mes poches et me confisque mon opinel. Qu’il s’empare de mon couteau m’afflige et me révolte, car c’est un peu comme s’il m’arrachait une part de moi-même. Depuis trois ans que je l’ai, je ne m’en suis pas séparé un seul jour.

                A l’instant où je monte sur le bat-flanc qui craque et sent l’humidité, il me donne une tape amicale sur la nuque et me dit qu’il cherchera à plaider ma cause auprès du colonel. Il tourne la clé et la serrure émet des grincements lugubres. Il n’a pas franchi la porte du couloir que je frappe déjà à grands coups de poings contre le mur. A m’en briser les os.

 

CHARLES JULIET , L’année de l’éveil, P.O.L.  1989

Réédition 2006 , Folio, p.191 -196